« Pour moi, prendre la route, c'est avancer. Même s'il pleut, même si on a mal dormi, qu'on est mal luné, il y a toujours quelque chose de formidable à découvrir. »
Raymond Depardon, Voyages
Déroutes : une déroute du regard, toujours surpris et malmené, mais aussi des routes, celles qu'explorent les artistes qui se sont prêtés au jeu de la carte blanche à EnPlastik!
Certains, sur les traces de Depardon, prennent la route, et nous font voyager de la Russie au Brésil en passant par l'Azerbaïdjan, comme Anna Kruszewska, dans la tradition de la « street photography».
« New York - Washington - Boston - Pittsburgh - Miami - Key West - Niagara Falls - Salt Lake City - Las Vegas - Santa Fe - San Francisco - Berkeley - Los Angeles. » : tel serait le « journal photographique et déambulatoire » de D.L. Rogowsky. Ces artistes nous font découvrir des villes, des gens, orchestrent des rencontres, ou des « duos incongrus » : « l'espace d'un court instant, un tandem inespéré », comme le dit David Belaga.
La déroute est parfois celle de l'artiste, confronté, comme Bertrand Guest, à la fragilité de ces routes et de ces rencontres : « Le départ toujours recommencé et interrompu n'est jamais un aboutissement, à peine, peut-être, un moyen de se mettre sur la voie ». Une déroute des images qui ne permettent plus de s'approprier ou d'apprivoiser des lieux, mais qui nous en éloignent, celle qu'a vécu Christelle Terroni aux Etats-Unis, un pays qu'elle pensait « acquis », mais qui lui a peu à peu échappé.
C'est aussi la déroute bien réelle du village russe de Lopasteika que nous montre Salvatore La Gatta : un endroit où il n'y a, justement, plus « de route, plus de travail, plus de médecin, plus de magasin, (...) une réalité qui, bientôt, appartiendra définitivement au passé ».
Tous mettent en scène la déroute du regard : déformations optiques, échafaudages techniques, renversement des conventions, surprises et détails rythment cette édition de la carte blanche. Il s'agit alors de « bricoler, reprendre, la même image, encore, de tous les côtés, découvrir parfois quelques « trucs », se laisser tenter », comme le dit Clément Bondu.
Pour Antoine Pavageau (sculptures), « toutes ces formes de déviation par rapport au vrai, visuellement, historiquement et intérieurement, constituent bien une apologie de la dérive et de l'erreur, loin de toute perspective moraliste. La déroute est donc constitutive d'une œuvre qui cherche à montrer plastiquement en quoi il est parfois bon de manquer de discernement, de longueur de vue, d'objectivité et surtout... de goût. »
Dans l'installation de Florence Cartoux et Camille Giuglaris, la déroute devient une lutte contre « ces mornes paysages modernes qui nous contaminent... et que nous contaminons, ici, à notre tour, par l'hégémonie de la couleur et des sons impétueux et originaux ».